3. Une disparition poétique agitant les médias


         A la suite du "drame de Bruxelles" et après sa convalescence, Rimbaud rentre à Charlevilles pour entreprendre (ou finir) l'écriture de son recueil Une Saison en Enfer. Son aventure littéraire se clôt par cette œuvre. Le jeune poète a déjà tout dit, il n'a plus rien à apporter à la poésie française. Sa contribution achevée, il se dit rattrapé par cette « réalité rugueuse à étreindre ». Ainsi décide-t-il de se taire et d'entamer une nouvelle vie. Mais, cet abandon poétique signe également la disparition médiatique du jeune Arthur. "L'homme aux semelles de vent" part à la découverte du monde, tout en ponctuant son exploration de rares apparitions parisiennes. Ainsi, après avoir agité les médias par une poésie provocatrice, un caractère insolent et une relation amoureuse tumultueuse, ceux-ci oublient le personnage de Rimbaud et ne conservent de lui que son art innovant et révolutionnaire. Absent des cercles littéraires parisiens, l'homme Rimbaud n'intéresse que peu la presse. D'ailleurs, cette seconde partie de vie post-littéraire est peu représentée dans les médias actuels (exception faite pour la photographie découverte en 2010 sur laquelle nous reviendrons ultérieurement). En effet, pour garder l'exemple du film d'Agnieszka Holland, celui-ci fait une ellipse en passant directement de la séparation définitive entre Rimbaud et Verlaine à la mort du jeune Arthur.



Ainsi, le film se termine sur ces quelques vers de "L'Eternité" donnant l'impression qu'après cette séparation, Rimbaud n'est plus. Ce film traduit d'ailleurs cette vision populaire du poète, image de l'éternel adolescent incapable de vieillir. Mais l'ancien poète eut une vie après Verlaine et la poésie, une existence de bohème et d'aventures. La poésie de Rimbaud rêvait de voyages et d'expériences, la vie d'Arthur fut à cette image. 

L'homme Rimbaud part donc à la découverte du monde, allant d'un emploi à un autre. Les médias perdent donc la trace d'un homme "rangé" (entendons par là qu'il ne se fait plus remarquer par sa provocation et son insolence) mais cet énigmatique silence finit par intriguer les milieux parisiens et les mystères commencent à entourer son nom : 
     - En 1882, sous la plume de Félicien Champsaur, il devient personnage du roman Dinah Samuel. Dans ce roman, l'un des personnages, le peintre impressionniste Galtoine cite quelques vers d'un certain "Arthur Cimber" extrait des Chercheuses de Poux et narre plusieurs anecdotes dans lesquelles il est loin d'avoir le beau rôle (
     - Entre 1883 et 1884, Verlaine publie les Poètes Maudits, ouvrage sur le Parnasse français "décadent" dans lequel Rimbaud fait l'objet d'une longue notice (disponible à l'URL suivant : http://www.poetes.com/textes/ver_poemau.pdf )
      - En 1886, Vogue édite les Illuminations. Rendant compte de cet ouvrage dans Le Symboliste, le critique d'art Félix Fénéon note à propos du poète que "déjà son existence se conteste et Rimbaud flotte en ombre mythique sur les symbolistes". Le jeune poète devient donc l'un des emblèmes du mouvement symboliste.
 Ainsi, durant plusieurs années, Rimbaud devient un véritable emblème de la poésie française. Il fait également l'objet de nombreux débats, certains lui attribuant l'écriture de poèmes  que d'autres contestent. Ainsi, on hésite sur ce qui est rimbaldien et ce qui ne l'est pas et, d'ailleurs, Paul Verlaine participe pour perpétuer la véritable œuvre de celui qui fut son amant.
 
Mais, c'est réellement dans le courant de l'année 1887 qu'Arthur Rimbaud retrouve le devant de la scène médiatique. Rumeurs, spéculations, c'est finalement en 1887 que cette troublante disparition est éclaircie, la sentence tombe : Arthur Rimbaud est mort ! Le monde littéraire est sous le choc et cette annonce inspire à Verlaine son célèbre "Laeti et errabundi". L'année suivant, le "frère pitoyable" publie une étude biographique du jeune défunt dans un numéro spécial du journal Les Hommes d'aujourd'hui.







Numéro 318 de la revue Les Hommes d'aujourd'hui, janvier 1888 (caricature de Luque), bibliothèque nationale de France



Dans cet éloge, Verlaine retrace la vie de Rimbaud qu'il fait résonner avec son œuvre. Ainsi, c'est tout autant le poète que l'homme que Verlaine érige en tant que génie ayant révolutionné le monde poétique. Néanmoins, il le reconnait : Rimbaud était un personnage haut en couleurs, tout aussi attachant qu'exaspérant et à la poésie tout aussi provocatrice que son auteur.
De plus, nous pouvons remarquer la manière dont Verlaine s'efface dans cette biographie de Rimbaud. Quoiqu'il ait eu une place non négligeable dans la vie de "l'homme aux semelles de vent", le "frère pitoyable" ne revient que très peu sur son influence dans la poésie et la vie du jeune Arthur. Ainsi, le "drame de Bruxelles" est brièvement mentionné (Verlaine évoque d'ailleurs "une blessure légère par un revolver mal braqué", manière de se dédouaner de son geste), la relation des deux poètes est absente mais le souvenir de l'amour perdure et émane de cet émouvant article.
 
Néanmoins, cet article de Verlaine est tout de même troublant. En effet, en 1887, la littérature pleure la mort de Rimbaud mais celui-ci est, en réalité, décédé quatre ans plus tard, en 1891. La provocation rimbaldienne avait une telle présence dans les médias que ce silence ne pouvait être que le reflet de la mort du poète. Mais, ces spéculations ne cessent de se perpétuer et le milieu littéraire se met en deuil de ce soi-disant défunt. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'est suggéré en 1889 de statufier Rimbaud au milieu de l'Exposition du centenaire de la Révolution Française afin de rendre hommage au poète. 
Finalement, la rumeur est démentie mais cet épisode fit revivre un Rimbaud médiatique. 

Après les rumeurs de 1887, le jeune poète est éloigné de la scène médiatique pendant quatre ans, c'est-à-dire jusqu'à sa mort en 1891. Le 10 novembre de la même année, Rimbaud meurt. Finalement cette "seconde mort" fera moins parler d'elle que la précédente et sera la cause de batailles médiatiques perpétuelles concernant les droits d'auteur du poète (Rimbaud n'ayant jamais eu d'enfant). Curieusement, c'est le même jour, dans la matinée, que parait à Paris l'édition du Reliquaire signé Rimbaud. Ainsi, alors même que la vie le quitte, Rimbaud continue d'agiter le milieu parisien. D'une fin de vie entourée de mystères pour un poète aussi médiatique, l'écrivain Retté en retire la pertinente conclusion : "En sommes, la version à répandre sur son compte me parait devoir être celle-ci: Arthur Rimbaud l'aventurier n'a jamais existé. Arthur Rimbaud est un mythe" ("lettre de Retté", sous la signature Fra Diabolico, in L'Ermitage, 31 janvier 1892)