III. Etude iconographique : le visage de Rimbaud



        1. Un poète aux multiples facettes entraînant diverses interprétations



        Si Rimbaud a marqué les médias par son œuvre, son arrogance ou encore sa liaison tumultueuse avec Verlaine, son image a également traversé les siècles. En effet, malgré une fulgurante carrière littéraire, nous ne possédons à ce jour que six photographies (nous ne comptons pas dans cet inventaire la photographie à l'hôtel de l'Univers car n'ayant jamais été certifiée comme authentique) et deux portraits du poète. A elles seules, ces représentations résument le mystère Rimbaud. Du candide communiant au commerçant africain en passant par l'adolescent effronté de Carjat, l'image de Rimbaud laisse entrevoir les différentes facettes de la personnalité du poète. Ainsi, cette recherche reviendra sur les différentes photographies connues de Rimbaud desquelles découlent multiples personnalités exploitées par les médias. 
 
Disparu de la scène médiatique dès la fin de sa carrière littéraire, les représentations de Rimbaud ont participé à la création du mythe rimbaldien. Une étude iconographique s'impose donc car l'image que véhiculent les photographies est un élément essentiel pour comprendre la vision que le public contemporain a de Rimbaud.

      
        L'enfant sage : genèse du mythe rimbaldien

Photo de classe, à l'Institution Rossat, école privée où les frères Rimbaud (premier rang deuxième gauche, Frédéric Rimbaud, à côté Arthur) ont été inscrits en octobre 1861


"Arthur et son frère Frédéric en communiants", 1867, reproduction partielle (Arthur seul) dans le tome 1er de l'Edition de la Banderole (Poésies) le Rimbaud, de Miss Enid Starkie, Londres 1938


Ces photographies nous représentent un enfant sage, discipliné, image bien éloignée du Rimbaud adolescent et arrogant. Bien que nous puissions déjà entrevoir l'air têtu du poète dans son regard, ces photographies nous présente un enfant de bonne famille. Mais justement, ce regard défiant l'objectif mêlé à cette image d'enfant discipliné, laisse imaginer le futur l'adolescent révolté que sera Rimbaud. C'est notamment la rébellion contre l'autorité parentale que laisse entrevoir cette photographie, image d'un enfant contraint par sa mère à poser en mémoire d'un évènement religieux. Nous savons que l'oeuvre de Rimbaud est profondément marquée d'une révolte contre la mère, sa mère à laquelle il reproche son caractère strict et dévot. Ainsi, que ce soit sur la première ou la seconde photographie, nous nous retrouvons face à un enfant, encore trop jeune pour se rebeller contre l'autorité matriarcale mais déjà rempli de cette envie d'éviter le chemin tout tracé que l'on tente de lui imposer. 
Ces photographies ne sont pas les plus célèbres de Rimbaud car l'image d'enfant sage rompt avec la vision provocatrice de l'adolescent, pourtant, elles laissent clairement entrevoir le jeune homme qu'il va devenir : un être aux multiples facettes.


         
        L'adolescent terrible : le mythe rimbaldien

"Première photographie de Carjat", octobre 1871, Etienne Carjat, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud
de Charleville-Mézières


"Seconde photographie de Carjat", décembre 1871, Etienne Carjat, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud
de Charleville-Mézières
 
La première photographie nous présente déjà un jeune garçon mal peigné, l'air maussade et, selon Georges Izambard (dans son ouvrage Rimbaud tel que je l'ai connu), "la plus ressemblante". En comparaison aux précédentes, nous sommes face à un adolescent qui commence à s'émanciper de l'autorité parentale et qui ne suit que ses propres choix. Mèche rebelle, regard provocateur, la beauté et l'arrogance commencent l'une comme l'autre à émerger dans ce portrait du jeune Arthur. D'ailleurs, Paul Verlaine résume parfaitement ces photographies de Rimbaud adolescent dans "l'Avertissement" à propos des portraits des Poètes Maudits, car ne parle pas, à propos du jeune Arthur, de beauté d'ange mais bien de beauté du diable !
La seconde, la plus célèbre, n'est que la continuité des précédentes, c'est-à-dire le résultat de la sagesse (du communiant), la beauté (du jeune enfant) et l'arrogance (de l'adolescent). La tenue propre tout en étant négligée (cheveux décoiffés, noeud tordu) alliée à la profondeur du regard et à la pureté du visage est véritablement la représentation même que l'imaginaire collectif se fait de Rimbaud : une négligence et une arrogance  excusées par la beauté et la jeunesse du personnage. Rimbaud y est envoutant, inspirant à la fois désinvolture et esprit créateur. Félix Fénéon en disait d'ailleurs que "le masque est d'un ange, estime M. Verlaine ; il est d'un paysan assassin" (extrait de l'article paru dans Le Symboliste, octobre 1886).

Ces deux photographies sont véritablement les "représentations officielles" de Rimbaud. C'est d'ailleurs cette image d'éternel adolescent que conserve l'imaginaire collectif. Elles sont la représentation même du mythe rimbaldien : beauté, jeunesse, passion tumultueuse et arrogance.
D'ailleurs, ce n'est pas sans raison que Holland, dans son film Total Eclipse, a choisi l'acteur Léonardo Dicaprio pour jouer le rôle du poète :

Léonardo Dicaprio dans le rôle d'Arthur Rimbaud (Total Eclipse, A. Holland)

Jeune talent du cinéma américain, la jeunesse et la beauté de Dicaprio rappellent la description "angélico-démoniaque" que Verlaine faisait de son amant. La ressemblance physique donc est frappante entre les deux personnages (et ce n'est pas la mèche rebelle rappelant la photographie de Carjat qui contredira cette hypothèse !) tous deux ayant ces visages angéliques diabolisés par l'arrogance de leur regard. 
Ainsi, c'est incontestablement le Rimbaud de Carjat que le film de Holland représente, perpétuant cette image de jeunesse et de beauté éternelle jumelées à l'arrogance adolescente.




        ■ L'homme africain : déconstruction du mythe rimbaldien


Bien que les photographies répertoriées sous le nom de "l'adolescent terrible : le mythe rimbaldien" soient les plus populaires et la représentation même de l'image que l'on se fait du poète, d'autres, nous mettent face à l'homme Rimbaud.
En effet, souvent oubliées, il existe pourtant des photographies de Rimbaud adulte. Il en envoya d'ailleurs trois à sa famille le 6 mai 1883 : "les photographies incluses, dit-il, me représentent, l'une debout sur une terrasse de la maison, l'autre debout dans un jardin de café ; une autre les bras croisés dans un jardin de bananes". La dernière, nous présente un Rimbaud méconnaissable, debout sur un éboulis de pierre (Elle a été reproduite en frontispice du troisième tome de l'édition de la Banderole en 1922 (Une Saison en Enfer) et en couverture de Rimbaud en Abyssinie d'Enid Starkie, Payot, 1939).


"Sur la terrasse de la maison de Barney",v. 1880 - 1883, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières
  
"Dans un jardin de café, v. 1880 - 1883, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières
"Dans un jardin de bananes, v. 1880 - 1883, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières


"Rimbaud à Aden", v. 1880 - 1883, Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville-Mézières (debout à gauche, Arthur Rimbaud)


Bien que ces clichés soient de mauvaise qualité, nous pouvons observer un Rimbaud maigre, aux traits durs et revêtant sur chaque photographie le costume blanc colonial. 
Ces photographies rompent totalement avec l'image du jeune adolescent rebelle et nous présente un homme au regard vide, maniant les armes et revendiquant son statut de colonisateur. Pour un poète prônant la liberté et l'indépendance, ces photographies jurent avec le mythe rimbaldien. Ici, il n'est plus question de provocation ou de rébellion : Rimbaud ressemble aux autres hommes, comme on peut le remarquer sur la photographie de groupe. 
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elles ne sont pas aussi médiatiques que les photographies de jeunesse. De plus, pour les admirateurs du poète, ces photographies ne sont que désillusions sur la vie de Rimbaud qu'ils ont pu s'imaginer. Grand explorateur, artiste reculé dans les plus profondes contrées africaines... rien de tout cela, Rimbaud n'était qu'un simple commerçant !  


Ainsi, si les photographies de Rimbaud représentent plusieurs personnages en un seul (le candide, l'adolescent rebelle, l'aventurier africain), ceci explique les diverses interprétations que les arts font de lui.  Poète aux multiples représentations, Rimbaud a été sujet d'inspiration dans différents domaines artistiques. Par la multiplicité de facettes du poète, les artistes ont laissé libre cours à leur inspiration et interprétation de Rimbaud, de sa vie, de son œuvre. Ceci nous offre donc un large panel interprétatif :


    Discographie :
Disponible sur le blog de "Arthur Rimbaud - Mag4" à l'URL suivant : http://www.mag4.net/Rimbaud/Chansons.html
    Audiovisuel :
Disponible sur le blog de "Arthur Rimbaud - Mag4" à l'URL suivant : http://www.mag4.net/Rimbaud/Films.html
    ■ Iconographie :
Disponible sur le blog de "Arthur Rimbaud - Mag4" à l'URL suivant : http://www.mag4.net/Rimbaud/AlbumRimbaud.html

Ainsi, certains artistes vont rendre hommage à l'adolescent poète, d'autres à l'aventurier africain. En effet, Rimbaud a presque eu deux vies en une seule ce qui permet multiples interprétations de son existence et de son oeuvre, à tel point que l'on peut se demander s'il s'agit toujours du même personnage.